Présidence de France Télévisions : Bienvenue en enfer

Présidence de France Télévisions : Bienvenue en enfer
Présidence de France Télévisions (Illustration COLCANOPA)

La guerre de succession est ouverte à France Télé. Mais, entre peaux de banane, pressions politiques, trahisons… le poste de président n'est pas de tout repos. Voilà ce qui attend l'"heureux" gagnant.

· Publié le · Mis à jour le
Temps de lecture

Cher candidat, le 1er avril, Olivier Schrameck, président du CSA, sortira de son coffre-fort tous les dossiers de candidature à France Télévisions. Parmi eux, le vôtre. Durant votre audition, vous alignerez des mots qui plaisent toujours, tels que « lien social », « rôle citoyen », « audace », « enjeu culturel »... Vous avez déjà, dans votre tête, commencé à jouer au Meccano avec les entités de France Télé pour vous conformer à l’injonction étatique : faire plus avec moins. Vous avez la niaque. Vous êtes prêt à en découdre avec les syndicats. Déjà, vous imaginez l’étape suivante : « Allô, ici Olivier Schrameck... C’est vous qui avez été choisi ! » Votre téléphone est vite saturé de SMS de félicitations, vos amis se démultiplient.

Le 22 août, vous vous installerez dans votre fauteuil pour cinq ans : président d’un groupe sur lequel le soleil ne se couche jamais, de Quimper à Saint-Pierre-et-Miquelon. Arrêtez de rêver. Certes, vous aurez décroché un poste prestigieux, plutôt bien payé. On vous donnera du « président ». Et, là, vous découvrirez ce qu’est vraiment le quotidien de patron de France Télévisions...

La suite après la publicité

LA BOÎTE À GIFLES

66 millions de personnes pensent qu’elles feraient mieux le job que vous. Cela vous fera un point commun avec le sélectionneur de l’Equipe de France de foot... Chacun vous gratifiera de son avis. A peine arrivée au ministère de la Culture, Aurélie Filippetti « regrett[ait] qu’il n’y ait plus de place pour la culture dans les journaux télévisés ». Puis elle s’en est prise à la « scripted reality » (ces saynètes inspirées du réel et jouées par des acteurs) : « Ce n’est pas un type d’émission de qualité qui correspond aux objectifs du service public. » Fleur Pellerin, elle, conjure France Télévisions de privilégier, en fiction, « des formes d’expression moderne, des sujets qui sortent un peu des sentiers battus ». Au printemps, France Télé s’abstenait de diffuser le débat des cinq candidats à la présidence de la Commission européenne puisque LCP-AN le retransmettait déjà. Hurlements des politiques : France Télé « censure le débat européen » ! Et, à peine avaient-ils vent de l’émission commandée par France 4 sur les dangers du binge drinking (beuverie express), avec expérience en grandeur réelle, que des parlementaires se déchaînaient. Sans même l’avoir vue, bien sûr. Cela ne relève en rien de ses attributions, mais le CSA n’est pas en reste. Pour les sages, il y a trop de fictions policières, ils évoquent même « le traitement de la lumière, [du] son, [du] choix des plans » et proposent – la belle idée ! – de traiter de sujets tels que « l’engagement militaire ». Ne pas oublier non plus les concurrents, prompts à prendre le relais. « La vraie différence, a lancé un jour Nicolas de Tavernost, patron de M6, entre le service public et les chaînes privées, c’est la messe le dimanche. » C’est simple, pour TF1 et M6, vos programmes ne sont jamais assez « service public ». Si vous faites de trop bonnes audiences, gare !

LE POISON DE LA RUMEUR

A peine serez-vous installé que les bookmakers lanceront les paris sur votre durée de vie à la tête de France Télé. Chaque mot désagréable d’un ministre, chaque grève remettra du charbon dans la machine à spéculations.

LA GUERRE DU “COM”

Votre Contrat d’Objectif et de Moyens (COM), votre feuille de route, en somme, vous mettrez un an à le négocier avec l’Etat. Fallait-il être naïf pour penser que l’affaire serait réglée en deux mois ! Vous découvrirez les allers-retours sans fin avec la Direction générale des Médias et des Industries culturelles (DGMIC). Et Bercy s’en mêlera. Et aussi Matignon car il y est question de l’outre-mer. Ouf, ce fameux « COM » est signé, devant les photographes. Vous avez enfin une vue dégagée sur les quatre prochaines années. Erreur ! L’Etat reviendra sans vergogne sur ses engagements financiers, vous sucrera peut-être des dizaines de millions. Tous vos plans voleront en éclats. En revanche, si, de votre côté, vous vous avisez de ne pas respecter vos engagements, on ne vous loupera pas.

La suite après la publicité

LE BAL DES FAUX-CULS

Régulièrement, vous lirez, dans la presse, des confidentiels fielleux vous concernant. L’auteur des propos vous appellera : « Enfin, vous imaginez bien que je n’ai jamais dit une chose pareille. Ah, ces journalistes... » Votre interlocuteur sait que vous savez qu’il ment. Mais la palme revient aux élus. A Paris, ils fustigent la gabegie qui règne à France Télé. Mais dès qu’ils regagnent leur circonscription, ils vous conjurent de ne pas toucher un cheveu du personnel de leur France 3 régional.

LE POUVOIR DES ANIMATEURS PRODUCTEURS

Aux yeux du public, ils incarnent France Télévisions. Beaucoup plus que vous. Une donnée dont ils ont une conscience aiguë. Parmi les frasques très peu « service public » qu’ont dû gérer vos prédécesseurs : Patrick Sébastien relatant dans un bouquin son expérience des clubs échangistes ou Jean-Luc Delarue arrêté par la police, dès potron-minet, dans le cadre d’une affaire de trafic de cocaïne. Si vous virez l’une de ces figures de l’antenne, sachez qu’une fois dans la nature, elle sera tout sauf inoffensive. Peut-être même engagera-t-elle un cabinet de communication pour assurer l’après-vente de son infortune. Dans les fauteuils moelleux d’un palace parisien, elle glissera moult perfidies à l’oreille des journalistes, attirera leur attention sur les audiences d’un concurrent dont elle ne comprend pas pourquoi il est toujours là, révélera telle ou telle coucherie, tel ou tel copinage...

LES JÉRÉMIADES DES PRODUCTEURS

843 producteurs ont les yeux rivés sur votre cassette de 414 millions d’euros : c’est la somme que devez obligatoirement dépenser, chaque année, dans la création audiovisuelle (fiction, documentaire, animation, spectacle vivant). C’est France Télé qui fait vivre la production française, ses réalisateurs qui ont des crédits sur le dos, ses auteurs qui ne touchent pas les mêmes droits selon que leur documentaire est diffusé à 20h30 ou minuit... Préparez-vous à entendre parler des projets refusés par vos équipes. Certains chercheront l’homme/la femme derrière le (la) président(e) : « Tu ne peux pas me faire ça. Sans commande, ma boîte coule. » Vous mesurerez vite la surface de l’éconduit au nombre de coups de fil que vous recevrez : « Cher ami... » Afin que vous ayez en tête leurs accointances, certains glisseront qu’« hier », ils ont « vu François à la projo », ou, plus directs, promettront d’informer « qui de droit », rappelleront que, sans eux, vous ne seriez pas là (ils ont, évidemment, soutenu aussi d’autres candidats). Tellement sûrs de leur dû, ils vous l’écriront même parfois. Autre méthode : vous verrez apparaître une pétition/lettre ouverte/tribune qui fustige le « manque d’audace », la « frilosité » de France Télé, publiée dans « le Monde » si l’intéressé est de gauche, dans « le Figaro » s’il est de droite.

La suite après la publicité

LE HARCÈLEMENT JUDICIAIRE

Vous serez mis en examen une bonne vingtaine de fois : dès qu’un de vos journalistes sera poursuivi, vous le serez aussi en tant que directeur de la publication, responsable de tout ce qui se dit sur ses antennes. 100 journaux par jour, 2 621 journalistes... Les juges finiront par se déplacer sinon vous y passeriez votre vie.

L’AUDITIONNITE AIGUË

C’est fou ce que vous serez auditionné : par le CSA ; par la commission des Affaires culturelles et celle des Finances de l’Assemblée nationale, par les mêmes du Sénat... Et pas question de se faire représenter auprès de ces parlementaires qui votent le montant de la redevance.

LES PRESSIONS POLITIQUES

Un an après votre arrivée débutera la campagne présidentielle. Il est probable que, pour la seconde partie de votre mandat, vous changiez d’interlocuteur. Nicolas Sarkozy ? Cauchemardesque pour un patron de France Télé. Humiliations publiques et décisions unilatérales au programme. Sans compter tous ces gens qui se prévalent de lui (ils l’ont toujours vu la veille) pour vous faire plier. Juppé ? Il n’a pas laissé que des bons souvenirs. Les faits datent de 1996, lors de l’incident à l’église Saint-Bernard, à Paris, où s’étaient réfugiés des sans-papiers. Furieux du traitement de l’affaire par France 2, Juppé, alors à Matignon, avait annulé la décision qu’il avait prise quelques semaines plus tôt de confier à France Télé la responsabilité de TV5 diffusée dans le monde entier.

LE PRIX DE CONSOLATION

Vous vous êtes présenté devant le CSA, le service public tellement chevillé au corps que jamais vous ne jetterez un coup d’oeil concupiscent sur la fiche de paye de Nonce Paolini, le patron de TF1 : 920 000 euros pour le fixe auquel s’est ajoutée, en 2014, une part variable de 1,38 million. Vous dirigez le premier groupe média du pays pour un salaire nettement inférieur : 320 000 euros fixes plus une part variable qui peut grimper jusqu’à 78 000 euros. Trois fois plus de salariés, six fois moins de revenus.

La suite après la publicité

L’ARBITRAGE ENTRE LES SOEURS ENNEMIES

Vous serez régulièrement amené à arbitrer entre France 2 et France 3, entre leurs deux patrons qui se déchirent, s’invectivent, se marchent sur les pieds avec des programmes redondants. Vous direz : « Je vais regarder le dossier » en espérant calmer le jeu. Peine perdue. Il vous faudra désigner un vainqueur et un vaincu. A la fin, vous privilégierez (presque) toujours France 2.

LE TRIBUNAL MÉDIATIQUE

Vos gaffes, vos erreurs, vos ré-flexions : tout paraîtra à un moment ou à un autre dans la presse. Souvent vous fulminerez : les journalistes ne pourraient-ils pas s’occuper un peu plus de TF1 et de M6 ? Les articles flatteurs sur les programmes de vos chaînes rempliront des placards entiers mais le mérite ne vous en sera jamais attribué. Et, en voyant surgir dans les gazettes des documents confidentiels (notes internes, baromètre social, contrats passés par l’entreprise avec des sociétés de conseil...), vous comprendrez vite que votre maison fuite de partout.

LE DEGRÉ ZÉRO DE LA VIE PRIVÉE

Vous ne la récupérerez que dans cinq ans, à la levée d’écrou. Président de France Télévisions, vous serez en perpétuelle représentation : assister à la bonne cinquantaine d’avant-premières auxquelles vos chaînes ont invité des « gens qui comptent », honorer de votre présence les grands spectacles de vos partenaires : Opéra, Comédie-Française, Festival d’Avignon, Chorégies d’Orange, etc. Sans oublier Cannes, bien sûr. Ni le Tour de France, le Top 14 de rugby, la Coupe Davis et toutes ces manifestations sportives qui vampirisent soirs et week-ends. Vous espérez préserver un moment à vous ce dimanche ? Raté ! François Hollande organise une projection en petit comité à l’Elysée.

LA PRESSION

La suite après la publicité

Vous serez l’objet d’un lobbying protéiforme car vos décisions auront un impact que vous ne soupçonnez pas : en région (France 3 compte 24 antennes), vous êtes plus important que le préfet. Outre-mer, avec les 1 450 salariés qu’emploie France Télé, vous pèserez plus que le ministre des Dom-Tom. Vous êtes une sorte de ministre de la Culture bis compte tenu de l’argent mis dans le cinéma, le spectacle vivant... Et, avec 115 disciplines couvertes, vous comptez bien plus auprès d’un grand nombre de fédérations que le ministre des Sports.

LE CONTRÔLE PERMANENT

Vous étoufferez sous les tutelles ! Le ministère de la Culture – le ministre, son cabinet, la direction générale des Médias et des Industries culturelles ; le secrétaire d’Etat au Budget, son cabinet ; le ministre des Finances, son cabinet ; la direction du Budget ; l’Agence des Participations de l’Etat ; le conseil d’administration. Vous suffoquez ? Ce n’est pas fini. Il y a encore le président de l’Assemblée, celui du Sénat, la commission des Affaires culturelles, celles des Finances, de l’Assemblée. Et les deux mêmes pour le Sénat ; le rapporteur général du Budget. Vous avez, petit veinard, un contrôleur d’Etat à demeure. Et la Cour des comptes viendra fatalement à un moment ou à un autre mettre le nez dans les vôtres. Last but not least, le CSA. Le pompon, c’est que vous êtes l’enjeu d’une bataille larvée entre le CSA, qui vous a nommé, et l’Etat, votre actionnaire : ainsi, les deux ont élaboré, en parallèle, une feuille de route pour le prochain président. Bref, vous passerez plus de temps à gérer votre tutelle qu’à faire de la télé.

LE BÂTON DE PÈLERIN

Les remaniements ministériels, les changements d’organisation à l’Elysée, l’alternance politique... : tout ce qui touche votre tutelle vous concerne au premier chef. Vous irez évangéliser chaque nouvel interlocuteur pour lui faire comprendre que vous êtes un chef d’entreprise (ce n’est pas gagné), que France Télé est une entreprise (ce n’est pas gagné) non réductible aux trente minutes du journal de 20 heures (ce n’est pas gagné).

LES DOUCHES FROIDES

A son arrivée, Patrick de Carolis, patron de France Télévisions de 2005 à 2010, avait eu l’idée de téléphoner la bonne nouvelle au producteur chaque fois que France Télé choisissait de coproduire un film. Tout émoustillé, il passe le premier coup de fil. Et raccroche, troublé : « L’investissement que j’ai annoncé est, m’a-t-il dit, inférieur à qui était convenu. » Regard goguenard du directeur de la filiale rompu à ce milieu qui cherche, par principe, à obtenir davantage. Et Carolis d’ouvrir des yeux ronds : « Ah bon, ils sont tous comme ça ? »

LA SORTIE PAR LA PETITE PORTE

A partir de janvier 2020, les critiques s’apaiseront. Même si votre mandat ne s’achèvera que fin août, le petit milieu sera déjà passé à votre successeur. Vous aurez peut-être même droit à des compliments. L’incroyable est arrivé : Rémy Pflimlin a été félicité publiquement par Emmanuel Macron, ministre de l’Economie et des Finances. Comme tous vos prédécesseurs, vous briguerez votre propre succession. Et, comme eux, vous devrez laisser la place. Vous partirez sans chèque de licenciement mais grâce à l’assurance chômage que vous aurez acquittée sur vos deniers, vous ne serez pas sans le sou. Sachez qu’au sortir de France Télé, personne n’a jamais retrouvé de poste du même standing.

A lire ensuite
En kiosque