Mika : Promis... Juré !

Mika : Promis... Juré !
Mika (© ALEX DE MORA)

Cool et doué d’un esprit d’analyse affûté, Mika est la star de "The Voice". Rencontre avec un juré malin comme un renard en matière de promo, que plébiscitent les ados et les intellos.

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Mika, égérie pop aux costards claquants, est la star du radio-crochet de TF1, "The Voice". Avec quarante-cinq minutes de retard et après trois mois de négociations, celui qui a régénéré l'émission débarque en converse et tee-shirt blanc pour analyser le show. Interview.

 Avec "The Voice", j'ai retrouvé ma candeur

 

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TéléObs. Si, à l’âge de 20 ans, vous vous étiez présenté aux auditions à l’aveugle, quel titre auriez-vous chanté ?

Mika. J’ai eu 20 ans dans les années 2000 et vous n’imaginez pas les niaiseries que j’écoutais... Je me serais sans doute caché derrière un piano et j’aurais opté pour du Nina Simone ou du Paolo Conte : « Un gelato al limon » ou « Via con me » : « Chips, chips, da-du-du-dudu-du ». Un gamin qui reprendrait Paolo Conte à « The Voice », ça aurait quand même de la gueule.

Vous avez appartenu au jury de la version italienne de « X Factor » avant de rallier la troisième saison de « The Voice ». Vous sentez-vous une vocation de coach ?

- J’ai traversé une période de ma vie où je refusais tout ce qui n’était pas lié à la promotion d’un album. Mais je vivais cet isolement voulu comme une sorte de cancer. Je n’arrivais plus à travailler sans penser à la réaction du public. J’ai donc accepté « X Factor » et appris l’italien à toute vitesse en me disant : « Si c’est un désastre, au moins ce sera dans une langue étrangère. » L’apprentissage de cette langue m’a fait du bien. Avec « The Voice », j’ai retrouvé ma candeur. Il faut se faire peur tous les jours ou sinon deux fois par semaine. La peur, c’est bon pour tout : la digestion, la libido, le sens de l’humour et même la peau.

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Quelle latitude avez-vous dans le choix des morceaux ?

– Si on regarde les émissions du même calibre dans le monde, on s’aperçoit qu’il y a un script, un prompteur, et que les jurés doivent rester dans les clous. La chaîne teste et impose les chansons. A « The Voice », nous sommes bien plus libres qu’aux Etats-Unis. Après, il y a un équilibre des titres et des décennies à trouver pour n’exclure personne. Si j’impose mes choix aux candidats, d’abord, ils se plaindront, ensuite, ils les chanteront mal. Je dois dénicher le morceau qu’ils cachent au fond d’eux. C’est un exercice compliqué et je me sens parfois comme un DJ fatigué à 3 heures du matin ou comme dans « Good Morning England », ce film de Richard Curtis sur un bateau de DJ qui diffuse du rock au Royaume-Uni depuis la mer du Nord. Cette année, j’ai décidé de mon manifeste : pop, pop, pop.

Nous nous crions parfois dessus dans ma loge

 

Posons la question autrement : Universal, la maison de disques associée à « The Voice », vous impose-t-elle des choix ?

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– Non, mais avec Pascal Nègre, son PDG, nous nous crions parfois dessus dans ma loge. Nous sommes tous deux combatifs et nous n’avons pas peur l’un de l’autre. J’adore cet old school executive. Il n’en reste pas beaucoup. L’an dernier, Pascal était furieux que j’aie donné « Belle » à Kendji [le vainqueur de la saison passée, NDLR]. « C’est trop difficile pour le petit chouchou », répétait-il. Oui, la chanson est difficile et tellement populaire que la moindre faiblesse vous saute à l’oreille. Kendji a fait des fautes, on s’en fiche. Un show parfait devient factice. Las Vegas. Une fleur en plastique. Un visage refait.

Voyez-vous toujours Kendji ?
– Pas depuis un moment, mais on m’a raconté sur lui une histoire qui me ravit. Son producteur voulait lui louer un appartement au centre de Paris. Kendji a refusé. Il a fait monter ses parents de province, ils vivent dans deux caravanes installées l’une à côté de l’autre. Il ne trahit ni son parcours ni son histoire.

Etudiez-vous vos audiences lorsque vous les recevez ?
– Je regarde la tendance et les pourcentages. Cette année, nous avons commencé haut, nous sommes redescendus et nous nous sommes stabilisés à 6 millions de téléspectateurs. Nous atteignons également 950.000 vues en replay contre 200.000 la saison d’avant. J’y suis sensible, c’est de cette façon que je consomme la télé. Les audiences, il faut les prendre avec distance. Nous ne devons en aucun cas nous sentir victimes de la réactivité exagérée des réseaux sociaux. Une chouette chanson peut très bien être détestée sur l’instant et entrer dans le Top 20 d’iTunes.

Je ne regarde jamais le show, je n'ai pas envie d'avoir à me mettre des gifles

 

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Cette année, avec les autres membres du jury, vous avez grimpé sur les fauteuils et fait le show. Aviez-vous reçu des consignes de la chaîne ?

– Quand nous avons escaladé nos fauteuils avec Jenifer et Zazie, il était 2 heures du matin et nous n’avions pas que du café dans nos verres. Ça se voit, non ? Nous nous sommes réveillés le lendemain matin en nous demandant : « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Nos producteurs, deux rottweilers charmants, veillent au grain. Mais le programme reste français, il laisse de la place à l’improvisation, ne se veut pas trop bien rodé. Je ne regarde jamais le show, je n’ai pas envie de me sentir mal, de me torturer, d’avoir à me mettre des gifles.

Qu’est-ce que chaque membre du jury apporte à l’émission ?

– Je ne parlerai pas de moi, ce serait comme m’embrasser dans un miroir. Florent Pagny, vingt-six ans de carrière, s’amuse comme s’il avait 30 balais. Il est affable, possède la maîtrise lyrique, met les choses en perspective, et si je lui demande un conseil, il me le donnera toujours. Jenifer a choisi l’émission pour opérer une transition après l’intense lumière sous laquelle elle a été placée [elle a été lauréate de la première saison de la “Star Academy”, NDLR]. Je la trouve touchante, on a envie de boire une bière avec elle. Zazie, auteur, compositeur, productrice et chanteuse, comprend extrêmement bien les rouages de l’industrie.

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Vous que l’on rejetait à l’adolescence, trop peu viril, trop maladroit, vous évoquez « la Famille Addams » pour désigner vos candidats...

– Cette année, il s’agit plutôt de « la Famille Tenenbaum », de Wes Anderson, question d’esthétique. Mon équipe cosmopolite compte une Libanaise, un Tunisien, un Québécois. On prétend que les équipes nous ressemblent, c’est vrai.

"The Voice" n'est qu'un un jeu mais il va parfois plus loin qu'il n'en a l'air

 

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Zazie a provoqué des réactions en évoquant le contexte politique actuel après la prestation de Yann’Sine Jebli sur « Comme toi », de Goldman...

– C’est la performance qui m’a le plus touché, d’autant que Yann’Sine était inconscient de ce qu’il faisait. Ce choix a changé son parcours. Comment un fragment de rocher se transforme-t-il en or ? Comment la naïveté, la maîtrise, le talent parviennent-ils à nous faire réfléchir à l’actualité contemporaine ? « The Voice » n’est qu’un jeu, mais ce jeu va parfois plus loin qu’il n’en a l’air.

Ejectez-vous les candidats plus âgés au stade des battles ?

– Pas du tout, non. Mais il est difficile de trouver des jeunes talents qui ne fassent pas de pâles copies des standards et des talents matures qui soient « frais ». L’an dernier, je voulais prendre une femme de 40 ans dans mon équipe. Elle a décidé de partir dans une autre, finalement, elle est rentrée chez elle.

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La France est un phare en matière de culture, de services sociaux et de libertés. Elle doit le rester

 

Vous qui avez écrit « Boum Boum Boum », morceau où vous affirmiez votre homosexualité, qu’avez-vous pensé de la mobilisation française contre le mariage gay ?

– Si elle était sortie de la bouche de quelqu’un d’autre, « Boum Boum Boum » n’aurait jamais été considérée comme une chanson engagée. Elle a eu un drôle de destin. Elle est restée dans le Top 20 des semaines, mais n’a jamais été numéro un. Quant à la France, je la vois comme un phare en matière de culture, de services sociaux et de libertés. Elle doit le rester.

Lorsque vous avez quitté le Liban, vous vous êtes installé dans le 16e arrondissement de Paris où l’on surnommait votre famille « les pirates du 16e ».

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– On nous demandait : « Qui êtes-vous ? Des pirates, des Gitans ? » Nous répondions : « Non, on est juste libanais. » Je me sais privilégié, cela ne m’empêche pas de m’intéresser au sort de ces immigrés qui traversent l’Afrique ou l’Adriatique dans des conditions atroces.

« Talk about You », votre dernier single, a été accusé de plagiat.

– Une contre-vérité et du journalisme de bas étage. Mais ça ne me dérange pas, la tension est toujours une excellente chose. Mon prochain album sort en juin. Il est content d’exister.

J'ignore si je vais rempiler la saison prochaine. La production ne m'a encore rien demandé

 

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Rempilerez-vous la saison prochaine ?

– Je l’ignore, j’entame une tournée d’un an et la production ne m’a encore rien demandé. Comment dites-vous en français ? Il faut être deux pour danser le tango.

Votre marque de fabrique, ce sont justement les drôles d’expression que vous employez parfois. Les cultivez-vous ?

– Non, mon ami d’enfance m’a d’ailleurs envoyé un texto pour m’exhorter : « Arrête de répéter que tu es dans l’eau chaude, ça n’existe pas. » En anglais, « to be in a hot water » signifie juste « je suis dans une sacrée mouise ».

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Propos recueillis par Sophie Grassin

LA PLAYLIST DE MIKA

♦ Une chanson pour tomber amoureux :
« “Nature Boy”, de Nat King Cole, ou n’importe quel morceau de The Cure. »

♦ Une chanson pour lutter contre la déprime :
« “Melocoton”, de Colette Magny, obsessionnel. »

♦ Une chanson pour François Hollande :
« “Tell Me Why”, de Bronski Beat. »

♦ Une série : « “House of Cards”, crédible – je le sais car ma tante était correspondante à la Maison-Blanche – mais “The Wire” reste au-dessus de tout. »

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