Maître de LUI

Maître de LUI
Couverture du magazine LUI (LUI)

Ex-play-boy à la réputation sulfureuse, patron de presse et homme de réseau, Jean-Yves Le Fur a relancé le magazine « Lui ». Récit d’une success story.

Par Marie Vaton
· Publié le · Mis à jour le
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On a réussi à rencontrer Jean-Yves Le Fur. L’homme qui jamais n’apparaît dans les médias nous a reçus, pendant deux heures trente, dans son grand bureau blanc juste au-dessus du Café de Flore. Jean-Yves Le Fur, l’homme d’affaires de la décennie des nineties, l’ex-play-boy de la mode, l’ex-fiancé de Karen Mulder, l’ami de Carla Bruni et de Kate Moss, le « roi de la night » patron du club sélect du Montana, le « citizen Fur » des magazines « DS », « Numéro » et, dans son dernier rôle, le sauveur de « Lui », mythique publication relancée voici bientôt deux ans. Sur la table basse, quelques numéros traînent. Les plus mémorables : Virginie Ledoyen « sur un toit brûlant » posant avec un chat entre les jambes, les seins de Marie Gillain, les fesses de Laetitia Casta, les tatouages de Rihanna. Et Malgosia, sa femme, beauté surnaturelle aux yeux verts étincelants qui joue les monitrices de charme, appuyée sur une paire de skis.

Principale difficulté : Jean-Yves Le Fur veut bien nous parler, mais il ne veut pas apparaître dans l’article. Il la joue comme Kate Moss. Allons-y quand même : la petite histoire de la « cover » de Malgosia est fabuleuse. Courchevel, une veille de Noël neigeuse et froide. On n’y voit pas à trois mètres et Le Fur est tout chiffonné : à quinze jours de la parution du numéro de janvier, il n’a toujours pas trouvé sa une. « J’ai vu passer une monitrice de ski qui portait un petit blouson rouge très seventies. Ça m’a rappelé mon enfance. »

Sans doute aussi les cartes postales sexy accrochées devant les boutiques de marmottes en peluche. Ni une ni deux, Jean- Yves Le Fur emprunte son blouson à la monitrice : « Malgosia est allée l’essayer nue, dans les toilettes de la crêperie [il nous montre les photos, NDLR]. J’ai su que j’avais trouvé ma couv “Spécial sports d’hiver”. » Dans un autre genre, l’histoire de Virginie Ledoyen n’est pas mal non plus : « Le chat sur la photo ne faisait pas partie du scénario initial. Il appartenait au propriétaire de l’appartement et Virginie s’est mise à le prendre dans les bras et à jouer avec. Terry Richardson s’est marré et l’a shootée à ce moment très précis. »

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Un fonctionnement presque vintage

Ça se passe comme ça chez « Lui ». De l’impromptu, de la spontanéité, du flair et des gros coups, comme l’« exclu » de Rihanna nue, obtenue grâce aux amis, au réseau. Et aux réseaux des amis. « C’est vrai, “Lui” a un fonctionnement un peu à l’ancienne, presque vintage, comparé à d’autres formules de magazines grand public », explique Yseult Williams, l’ancienne rédactrice en chef et fondatrice de la nouvelle formule du mensuel masculin. Pas d’études de marché, de numéro zéro, de business plan. Tout le contraire de « GQ », son concurrent direct, un des titres-phares du groupe américain Condé Nast. «Nous, on a monté le magazine en trois mois, avec une équipe arrivée en route. C’était très rock’n’roll. »

Devant les annonceurs, le critique et écrivain Frédéric Beigbeder, nommé directeur de la rédaction, a fait un numéro de paon très réussi : « Moi, j’étais la caution “sérieuse”, lui, la caution séduction, poursuit Yseult Williams. Avec sa désinvolture et son côté sale gosse, il est arrivé à emballer tout le monde: pour le premier numéro, on a obtenu une soixantaine de pages de pub haut de gamme, dont LVMH et Chanel, c’était spectaculaire. »

Le numéro en question propulse à la une l’actrice Léa Seydoux, nue, à demi drapée dans un voile transparent bleu nuit. Un énorme succès : 230 000 exemplaires s’arrachent en kiosques. Dix-neuf mois plus tard, comme l’ensemble de la presse magazine, « Lui » a chuté, oscillant entre 60 000 et 125 000 exemplaires mensuels selon l’OJD (office de justification de la diffusion des supports de publicité). Le fleuron français de la presse masculine, injustement remisé dans les tiroirs et abonné aux vide-greniers des petites villes de campagne, réussira-t-il à s’imposer dans la durée ?

Magazine de l’homme moderne

L’esprit chic et cool du « magazine de l’homme moderne », fondé en 1963 par Daniel Filipacchi et Frank Ténot sur les bénéfices de « Salut Les Copains », est bel et bien là. Une belle maquette, des enquêtes drôles et subversives, tel « le Palmarès 2015 des gardes à vue » ; des « plumes », comme Thomas Legrand, l’éditorialiste politique de France Inter, Patrick Besson, Arnaud Viviant, Simon Liberati et, plus récemment, l’écrivain nord-irlandais Robert McLiam Wilson (auteur d’ « Eureka Street ») ; des interviews exclusives décalées, de Nabilla à James Ellroy, en passant par Johnny Hallyday, Michel Houellebecq ou Jérôme Kerviel ; des illustrations coquines de Louise Bourgoin et des séries mode pointues signées Olivier Zahm, Terry Richardson ou Mario Sorrenti.

La nouvelle formule se veut branchée, friquée, glam et sexy à la fois. «On veut ressusciter le “Lui” des années RPR, le séducteur de la Gaule qui ne doute pas, amateur de tête de veau et de jolies pépées, mais pour le parodier gentiment, sans se prendre tellement au sérieux », explique une journaliste. Le « Lui » signé Le Fur convoque celui des décennies de Jacques Lanzmann, le « Lui » triomphant de Danièle Gilbert, la petite « fiancée des Français », sourire mutin et porte-jarretelles (1988), une une légendaire puisqu’elle fut la meilleure vente de toute l’histoire du magazine.

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Toujours à l’extrême limite du vulgaire, le « Lui » ancienne manière prétendait aussi élever les âmes : François Truffaut y tenait la rubrique cinéma et on y publiait du Boris Vian. Jane Birkin s’y montrait menottée, Brigitte Bardot, Catherine Deneuve ou Sophie Marceau, dénudées. « A l’époque, mettre une star nue en couverture d’un magazine, c’était hyperculotté » se souvient Arnaud, traducteur de récits érotiques pour « Lui » et « Playboy ». Avec ces deux titres iconiques, la France mitterrandienne s’éveille à la sexualité et rit grassement devant « Sexy Folies », l’émission cuculte de FR3.

Après 1987, le titre commence à décliner, multiplie les identités contradictoires, se cherche entre presse masculine sérieuse et numéro de charme polisson. Beigbeder explique :

Aujourd’hui, on n’a plus besoin d’excuses pour acheter des seins et des fesses en couverture. Les nichons sont plutôt devenus une excuse pour acheter de la littérature. Nous, ce qu’on veut faire, c’est un magazine qui s’adresse à des gens intelligents, des hommes qui aiment les femmes autant que les écrivains.


Le propos est malin : c’est un pied de nez à la mouture honteuse du « Lui » vaguement porno des années 2000, devenu « l’Officiel de la photo de charme », celui de Michel Birnbaum, cet ancien médecin devenu patron de titres « couillus » (« Penthouse », « Playboy », « FHM », « Rolling Stone », « Men’s Health »). Une sombre époque que les repreneurs ont choisi de remiser sous le tapis : « Soyons clairs : le titre était en train de mourir de sa mort la moins noble », murmuret- on sous cape.


L’histoire officielle paraît belle

Ce « Lui »-là, la fine équipe de Beigbeder et Le Fur, copains comme cochons dans la vraie vie, n’en voulait pas. Comment ont-ils réussi à convaincre Birnbaum de leur céder la marque ? L’histoire officielle paraît belle. Selon Jean-Yves Le Fur, elle passe par les retrouvailles de deux amis d’enfance dans une boutique Zadig & Voltaire, il y a quelques années. Pascal Dro, éditeur d’« Autosport » et d’« Etoiles Passion », le double un peu gris de Le Fur, le compagnon de classe de tous les quatre cents coups, avait alors convaincu ce dernier de racheter le titre et de partager les parts.

La version de Birnbaum est un poil différente : « Un jour, un petit mec, Pascal Dro, vaguement éditeur de journaux, est venu sonner à notre porte. Il s’est mis à pleurnicher, à nous raconter des tas de salades sur le magazine, soi-disant un souvenir d’enfance cher à ses yeux, etc. J’ai fini par céder et lui vendre le titre pour une somme très très modique [moins de 150 000 euros, NDLR] parce qu’il m’a fait de la peine et qu’il était fauché. Quelque temps après, la première traite nous revient impayée. Je décroche mon téléphone et lui dis : “C’est la dernière fois que tu me fais ça, sinon je te reprends le titre.” Pour se faire pardonner, il réussit à me convaincre de l’inviter à déjeuner. Et là, entre la poire et le fromage, il m’assène, la bouche en coeur : “Ah ! l’autre jour, tu vas pas le croire, mais j’ai croisé Jean-Yves Le Fur, un ami d’enfance. Il veut reprendre le titre avec Beigbeder.” Je suis resté collé à ma chaise. Je lui ai dit :

Au mieux vous êtes un passe-plat, au pire vous êtes un faux nez.” Bref, je venais de comprendre que je m’étais fait couillonner.

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Histoire d’un séducteur et manipulateur flamboyant

Sacré Le Fur. Il y a ceux qui l’adorent. Et les autres. Eternel rescapé, il a survécu à toutes les guerres de la mode, toutes les crises de la presse, insubmersible. Une de ses collaboratrices de longue date s’enthousiasme :

Il est fort comme un roc, instinctif comme un animal : il a toujours eu un flair gigantesque qui lui permet de jouer un coup d’avance sur tout le monde 

 Il a, aussi, des femmes. Des femmes comme s’il en pleuvait : il n’a jamais perdu le contact avec ses amies mannequins, du temps de son idylle avec la top néerlandaise Karen Mulder. Kate Moss l’a choisi comme témoin de mariage et il a inspiré à Bulgari le choix de Carla Bruni-Sarkozy comme nouvelle égérie. Ce si précieux réseau lui a ouvert bien des portes. Dans la photo – via son agence Mad Agency –, il travaille avec les plus grands photographes : Peter Lindbergh, Mario Sorrenti, Paolo Roversi, Terry Richardson ou Jean-Baptiste Mondino. Une de ses relations de travail confie :

Malgré son physique de mafieux disgracieux, les femmes l’adulent : elles aiment son côté protecteur de parrain sicilien

C’est ainsi qu’il a réussi à convaincre Marie Gillain, une ancienne conquête, de se dénuder pour « Lui ». « Les femmes m’inspirent et j’ai toujours gardé de bonnes relations avec celles que j’ai aimées », dit-il. A Cannes, pendant le Festival, toute la Croisette a pourtant bruissé d’un autre air : c’est de lui que se serait inspirée Maïwenn, la mère de son fils, pour réaliser « Mon roi », l’histoire d’un séducteur et manipulateur flamboyant à fuir à toutes jambes... « Le Fur s’est toujours servi des femmes pour réussir, croit savoir une ancienne connaissance. Il les prend, les épuise et, quand elles sont bien essorées et ne peuvent plus rien lui apporter, il en prend une autre, comme avec Karen Mulder. Pour lui, les femmes sont des pouliches. »

Des pouliches sur lesquelles miser, comme lorsqu’il était petit et refilait en douce les tuyaux de son beau-père propriétaire de chevaux de course à son instituteur, fan de tiercé. Lui, le « cancre », espérait peut-être avoir de bonnes notes, changer le cours de son destin. Cet « imposteur magnifique », selon une ennemie, joueur invétéré – il tape encore la balle, comme du temps où il enseignait le tennis à Stéphanie de Monaco –, a toujours gardé une réputation de « bad boy » sulfureux, « dur en affaires et mauvais payeur », selon une agence de photo qui a dû le menacer d’assignation pour non-paiement.

Il y a un an, l’AFP publiait une dépêche rocambolesque : « Lui » devait être vendu aux enchères pour régler les dettes du patron sans-le-sou. «Une banale histoire de travaux qui s’éternisaient chez moi, que j’ai eu le tort de vouloir régler à l’amiable et qui m’est retombée dessus », balaiet- il d’un revers de la main. Trop sanguin, trop colérique, trop anticonformiste, le « self-made-man » originaire de banlieue parisienne ? «Le problème, c’est que je n’aime pas les faux-culs, explique-t-il. Quand j’ai un souci, je le dis en face. Et ça finit toujours par me créer des ennuis. » Le Fur est, en tout cas, l’un des rares patrons de presse à être indépendant et à se suffire à luimême. Le dernier des Mohicans d’une presse à son image, avec des femmes, de la came, de la littérature et des histoires drôles. Une époque révolue ?

 

Marie Vaton
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