Gaspard Gantzer, l'image au pouvoir

Gaspard Gantzer, l'image au pouvoir
Gaspard Gantzer, conseiller communiaction de Francois Hollande (ALLARD-POOL/SIPA)

Pendant six mois, Yves Jeuland a filmé l'Elysée de l'intérieur. Portrait de celui qui en est le personnage clé : le conseiller en communication du président, Gaspard Gantzer.

Par Stéphane Arteta
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C'est le véritable héros du film d'Yves Jeuland. Gaspard Gantzer, 36 ans, nouveau maître de la communication du palais. Cheveux en bataille, œil pétillant, éclat de rire mécanique, du premier au dernier plan, il est omniprésent. Ce qu'on appelle crever l'écran. Au risque de donner à l'image un côté film officiel, visé par l'Elysée. Yves Jeuland s'en défend :

Le meilleur moyen pour que Gantzer ne me contrôle pas, c'était justement de le filmer. Pour qu'il ne s'occupe pas de moi, il fallait que je m'occupe de lui."

Il est vrai que pour un réalisateur, voilà un excellent personnage. Toujours sous pression, le jeune homme virevolte d'une pièce à l'autre du Château, dévale les escaliers, saute dans une voiture officielle, sans jamais donner l'impression de voir la caméra qui ne le lâche pas d'une semelle.

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Yves Jeuland aime filmer les gens au téléphone, et Gantzer passe ses journées au bout du fil. Sans se lasser, il répond aux mêmes questions des mêmes journalistes des heures durant. Et leur distille les mêmes éléments de langage que nombre d'entre eux s'empressent d'aller réciter face caméra ou retranscrire à la une de leurs journaux : "Emmanuel Macron a toute la confiance du président" ; "Le gouvernement sera rajeuni et renouvelé" ; "Le président a échangé une accolade virile et joyeuse avec Matteo Renzi"...

Orienter, contrôler, verrouiller

La profession de journaliste politique sort un peu plus abîmée du film d'Yves Jeuland tant la communication élyséenne semble lui imposer rythme et messages. Et c'est bien là le principal signe de la nouvelle toute-puissance de Gaspard Gantzer. Tout en sourire et en décontraction affichée, le jeune stratège oriente, contrôle, verrouille. Un pro. Redoutable.

Prudent, il n'a repris ni le titre de conseiller politique ni le bureau, contigu à celui du président, de celui auquel il a succédé dans l'urgence au printemps 2014, Aquilino Morelle. Gantzer a préféré s'installer au fin fond d'un dédale de couloirs, au premier étage de l'aile ouest du bâtiment, dans le petit bureau d'angle qui surplombe la cour du palais. De là, il voit tout, sait tout, pilote tout. Un lieu "stratégique", avoue-t-il, un poste de vigie occupé jadis par Franck Louvrier sous Nicolas Sarkozy, puis Christian Gravel au début de l'actuel quinquennat.

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Faux modeste, il réduit son rôle à celui d'un "répondeur téléphonique", voire d'une "horloge parlante". Gantzer est pourtant devenu le principal conseiller de François Hollande. Yves Jeuland raconte :

Il colle au président, il ne le quitte jamais, et cela dit quelque chose du pouvoir que le principal conseiller du chef de l'Etat soit le chargé de communication."

"Il faut expliquer ce que l'on fait, récite à 'TéléObs' Gantzer. La communication est une dimension de l'action politique." C'est même parfois la principale sinon la seule du hollandisme new-look... A ce titre, l'influence qu'il a acquise en quelques mois est bien le symptôme d'un changement politique, qui est aussi un changement de génération, dont la tête de gondole est Emmanuel Macron.

Le copain Emmanuel

Enarque, issu de la même promotion Senghor (2004), Gaspard Gantzer a sympathisé avec Macron sur le terrain de l'épreuve de sport du concours d'entrée à l'ENA. Son colocataire avait pour nom Sébastien Proto, le banquier devenu l'un des plus proches conseillers de Nicolas Sarkozy. Mais son vrai copain, c'est "Emmanuel". C'est d'ailleurs à lui qu'il doit son atterrissage à l'Elysée en avril 2014.

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A l'époque, après avoir travaillé trois ans à l'Hôtel de Ville de Paris aux côtés de Bertrand Delanoë, dont il fut le porte-parole, Gantzer, passé ensuite par le cabinet de Laurent Fabius au Quai-d'Orsay, vient de rejoindre celui de Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement et ministre de l'Agriculture. Il n'y est que depuis dix jours lorsque l'Elysée l'appelle pour lui demander de pallier le départ précipité d'Aquilino Morelle. Ce dernier, accusé de conflit d'intérêts pour avoir travaillé pour un laboratoire pharmaceutique, a été limogé en quelques heures. Il sera blanchi quelques mois plus tard.

Qu'importe, le spectre de l'affaire Cahuzac plane et Hollande se débarrasse aussi sec de Morelle, devenu encombrant. Au moment de lui chercher un remplaçant, le président s'enferme avec deux de ses conseillers : Emmanuel Macron, à l'époque secrétaire général adjoint de l'Elysée, et Nicolas Revel, deux grands copains de... Gaspard Gantzer. Bingo ! L'heureux promu nous raconte :

J'ai eu la chance que mes amis soufflent mon nom au président."

Place aux "trentas"

Le monde est petit et la hollandie, saison 2, rétrécit à mesure que les défaites, clashs et démissions s'enchaînent. Surtout, une génération chasse l'autre : exit les néo-quinquas et quadras finissants à la mode Hamon, Montebourg, Peillon et autres Morelle, ces militants forts en gueule tombés au gré des épreuves et disgrâces, place aux "trentas" ambitieux et policés, pragmatiques et désidéologisés... Najat Vallaud- Belkacem, Fleur Pellerin et Emmanuel Macron captent la lumière de cette mutation pendant que, dans l'ombre, Gaspard Gantzer en est une pièce maîtresse.

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C'est l'un des autres grands intérêts du film d'Yves Jeuland que de montrer cette prise du pouvoir d'un groupe de condisciples, d'amis, de semblables, dont l'influence croissante agace certains vieux fidèles du hollandisme, vexés d'être marginalisés. La vie à la Cour a ses constantes. Jeuland filme par exemple Gantzer, assis en retrait dans le hall, sur les marches du grand escalier de l'Elysée, qui serre les poings et lâche "Yes !", au moment où, dans la cour, Jean-Pierre Jouyet ne peut retenir son sourire en annonçant à la presse la promotion d'Emmanuel Macron à Bercy.

Le secrétaire général, Jean-Pierre Jouyet, ami de trente-cinq ans de François Hollande, c'est le grand frère qui cornaque sa bande de chouchous. Gantzer nous confie :

Au foot, ce serait le numéro 10 qui distribue les ballons avec simplicité et élégance."

Soigner l'image

Dans le film, cela donne un échange téléphonique rigolard avec son poulain Emmanuel Macron, tout juste nommé à Bercy :

Comment va monsieur le ministre de l'Economie ? Tu veux qu'on te cire tes chaussures ?"

L'allusion vacharde à Aquilino Morelle, dont Jouyet est si content de s'être débarrassé, illustre la complicité de la nouvelle équipe aux manettes. Traduit en langage de communicant par Gaspard Gantzer, cela donne :

Il faut saluer la noblesse et l'abnégation des gens qui sont ici, à l'Elysée, au service du pays et des Français."

Depuis dix-huit mois qu'il l'a reprise en main, l'image du président est plus soignée. A en croire les sondages, le son, lui, ne convainc pas davantage. Fini le choc des photos. A quand le poids des mots ?

Renaud Dély

"Un temps de président", rediffusé le jeudi 22 septembre à 23H45 sur France 3

Lire aussi : Les secrets de la com de l'Elysée

Stéphane Arteta
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