Dan Franck : " Depardieu en maire de "Marseille", c'était une évidence"

Dan Franck : " Depardieu en maire de "Marseille", c'était une évidence"
Le grand oral : Dan Franck (© JEAN-YVES LACÔTE POUR TÉLÉOBS)

Il y a un peu plus d’un an, Netflix lançait sa première production tricolore, "Marseille", attendue en mai, avec Gérard Depardieu en maire de la cité phocéenne. Son créateur, Dan Franck raconte.

Par Flore de Bodman
· Publié le · Mis à jour le
Temps de lecture

En s’implantant en France il y a un peu plus d’un an, Netflix lançait sa première production tricolore, "Marseille", attendue pour mars, avec Gérard Depardieu en maire de la cité phocéenne, où règnent la vengeance et la corruption. Son créateur, l’écrivain-scénariste Dan Franck, à qui l’on doit "Carlos" et "les Hommes de l’ombre", raconte.

TéléObs. Comment êtes-vous arrivé sur le projet ?

La suite après la publicité

Dan Franck. – Le producteur Pascal Breton m’a contacté en janvier 2014 pour me proposer une série sur Marseille. Je me suis dit : pourquoi pas ? Et j’ai filé dans cette ville que je ne connaissais pas bien, où j’ai eu la chance de tomber sur une fille formidable, Sabrina Roubache, issue des quartiers. Elle m’a fait rentrer partout : dans les cités – notamment la plus pauvre de France, Félix-Pyat –, dans les mosquées... Grâce à cette préparation en amont, le tournage a duré à peine trois mois, mais il faut dire que trois équipes travaillaient en simultané.

Netflix a reçu une cinquantaine de scénarios et, ce qui me fait marrer, c’est d’avoir été retenu alors que je dois être le seul auteur en France à ne pas parler anglais.

Quels ont été vos rapports avec les Américains ?

–  Ils m’ont laissé extrêmement libre. Normal : quand on est une plateforme de vidéo à la demande présente dans plus de 60 pays, on a un public tellement énorme qu’il est difficile de le cibler. Ce que j’ai trouvé incroyable chez eux, c’est leur bienveillance et leur efficacité. Je leur envoyais mes épisodes, le soir, en français, et le lendemain, j’avais un retour en anglais. Après, ils parviennent toujours à leurs fins. J’avais développé une ligne intéressante : les rapports de clientélisme entre le Front national et les barbus à Marseille. J’avais aussi créé le personnage d’une femme qui, devenue djihadiste, se faisait exploser. Mais ils m’ont fait comprendre que ce n’était pas forcément une bonne idée. Ou que c’était déjà vu aux Etats-Unis.

La réalisation a été confiée à Florent-Emilio Siri ("Cloclo") et Thomas Gilou ("La Vérité si je mens!"). Recourir à des cinéastes était une exigence de Netflix ?

– Oui. Mais certains ont refusé : au moment où on cherchait, Netflix incarnait le grand méchant loup qui débarquait en France et les réalisateurs pressentis ont eu peur de ne plus être financés par Canal+ après. D’autres ont décliné parce qu’ils ne sont pas habitués à travailler pour la télé. Il faut aller vite et j’arrivais avec un pilote et des arches narratives déjà écrites. Pour un metteur en scène de cinéma qui veut mettre sa patte sur le scénario, c’est impensable. Pour "Carlos" [produit par Canal, NDLR], avec Olivier Assayas, on était partis ensemble dès le départ.

La suite après la publicité

Et vous, vous n’avez pas eu peur de travailler pour le concurrent ?

–  J’ai surtout pensé que Netflix pouvait insuffler une énergie nouvelle au paysage audiovisuel français. En plus, ils ont refusé toutes les aides auxquelles ils avaient droit. Pas de crédit d’impôt, rien. Plutôt élégant. Et puis on tourne en français.

Depardieu en maire de Marseille, c’était une évidence pour vous ?

– Oui, même si je ne le connaissais pas. D’habitude, au moment du casting, je reprends les dialogues. Avec lui, je n’ai rien eu à faire, il correspond tellement au personnage. Il a la stature, la présence, l’autorité. Le maire de Marseille, on ne l’imagine pas fluet.

La suite après la publicité

Il paraît que, sur le tournage, il avait une oreillette...

–  Effectivement mais il apprend ses textes et répète. Pas besoin de refaire ses prises. Sur mon premier film comme scénariste, "Netchaïev est de retour", de Jacques Deray, Montand, lui, avait des Post-it. Ça évite l’angoisse d’oublier son texte. Surtout quand les dialogues sont conséquents.

Après, Depardieu est d’une présence incroyable. Sur le plateau, ça tourne beaucoup autour de lui parce qu’il est gargantuesque, drôle et n’a rien à prouver.

 

On a beaucoup présenté la série comme un "House of Cards" à la française.

La suite après la publicité

–  C’est une lutte politique entre deux personnages, incarnés par Depardieu et Benoît Magimel. Mais il n’y a pas ce cynisme propre à "House of Cards". Car ce qu’ils font, ils le font par amour de leur ville. Si la politique n’est intéressante à l’écran que quand elle est tragique ou dramatique, l’écueil, c’est de tomber dans le "tous pourris".

Je suis quelqu’un d’engagé : j’ai signé l’appel de Calais, je me suis occupé de sans-papiers, je travaille avec les gens de Droit au Logement. Donc j’ai beaucoup de respect pour la politique

A Marseille, j’ai découvert des combines monstrueuses. Mais ce n’est pas mon rôle de les dénoncer. Certains se reconnaîtront dans la série, mais pas à Marseille. Comme certains ont pu reconnaître des éléments de l’affaire Bygmalion, dont j’avais déjà eu vent à l’époque, dans la saison 1 des "Hommes de l’ombre".

Ça a dû être compliqué de tourner dans les cités.

–  J’ai rencontré des caïds, et même des mecs en cavale, qui m’ont promis de protéger le tournage en échange de boulot pour les gens de la cité : figuration, régie... Là-bas, il n’y a pas de travail, donc les jeunes dealent et se retrouvent en prison. Quand vous avez des mômes qui gagnent l’équivalent d’un Smic en se baladant toute la journée sur une mob sans casque pour repérer d’éventuels flics, comment voulez-vous les mettre à l’usine après ? Mais c’est pareil en banlieue parisienne.

La suite après la publicité
Et Marseille est une ville unique, incroyablement attachante. C’est pour ça que c’est un personnage de la série.

"Marseille" est-elle une série transgressive ?

–  Il y a des scènes que je n’aurais jamais pu écrire pour la télévision française. Sauf peut-être pour Canal+. Le sexe et la violence restent assez raisonnables même s’il y a plus de scènes de sexe que prévu. Un choix des metteurs en scène.

Comment imaginez-vous la saison 2 ?

La suite après la publicité

–  Je voudrais l’écrire en atelier mais en petit atelier, avec trois personnes seulement. Ce serait un apprentissage pour moi car un écrivain a l’habitude de travailler seul. Je ne pense pas qu’on irait plus vite à plusieurs. Pour "Marseille", j’ai mis entre six et huit mois. Et si je devais imaginer la seconde saison, ça me prendrait le même temps. Mais j’ai d’autres projets. Et l’envie de transmettre à de jeunes scénaristes.

Est-ce lié aussi à votre expérience compliquée sur "les Hommes de l’ombre" ?

–  J’ai toujours su que Nathalie Baye, qui tenait un des rôles principaux, ne rempilerait pas. Elle me l’avait dit mais elle en a informé le producteur un peu tard. La suite s’est faite sans nous. Si Depardieu ou Magimel ne venaient pas sur la prochaine saison de "Marseille", cela signerait sa fin. Mais ils viendront. De toute façon, c’est toujours plus difficile d’écrire une saison 2.

Quelles différences voyez-vous entre les séries françaises et américaines ?

–  En regardant à nouveau certaines séries américaines, je me suis rendu compte que, sur 52 minutes, il y avait souvent 45 scènes au découpage. Quand il y en a 55, voire 60, dans les séries françaises, en tout cas les miennes. On découpe beaucoup alors que les Américains, eux, privilégient les dialogues. Pourtant, on a l’impression que ça bouge davantage dans une série américaine parce qu’ils ont plus de moyens. Un hélico, ça vaut 15 voitures de police. Sur "Marseille", comme j’écris assez cut, les Américains m’avaient demandé de rallonger les dialogues. Mais tout a été coupé au montage. Question de culture.

La suite après la publicité

En France, on a aussi la culture de vouloir plaire à tout le monde...

–  Sauf que c’est impossible. Une fois, dans une de mes séries, j’avais mis une réplique dans la bouche d’un personnage qui demandait à un autre :  "Tu continues, quand tu t’emmerdes dans les dîners, à regarder les dos des livres ? – Ouais, je continue – Et quand il n’y a pas de livres ? – Et ben, je m’en vais." Et là, le conseiller de programme de la chaîne m’a dit : tu ne peux pas mettre ça, notre public ne lit pas.

Mais c’est scandaleux de prendre les gens pour des cons ! Cette remarque, je ne l’oublierai jamais.

Quel regard portez-vous sur les récents changements à France Télévisions ?

–  Je trouve les nominations de Delphine Ernotte à France 2, France 3 et France 5 intéressantes. Vincent Meslet a une vraie vision de la télé, Michel Field aussi, et Dana Hastier sait ce qu’elle veut. Ils ne sont pas dans ce système de renvoi d’ascenseur, ils ont envie de changer les choses.

La suite après la publicité

Que vous inspire le débat sur la publicité sur les chaînes publiques ?

–  Je ne suis pas forcément pour le retour de la pub après 20 heures mais sa suppression n’a absolument pas été pensée. Alors, soit on augmente la redevance en fonction des revenus ou en l’élargissant aux ordinateurs. Soit on taxe davantage les opérateurs. Mais si on veut un service public de qualité, il faut le financer.

 Propos recueillis par Flore de Bodman

REPÈRES

1952.
Naissance à Paris.
1994. Adaptation au cinéma de son roman "la Séparation", prix Renaudot 1991.
2010. Coscénariste de "Carlos", d'Olivier Assayas.
2012.
Cocréateur et coscénariste de la saison 1 des "Hommes de l'ombre" (France 2).
2016. Créateur et showrunner de "Marseille" (Netflix).

 

 

Flore de Bodman
A lire ensuite
En kiosque