Eric Rochant : "Qu’a-t-on vu des attentats sur les chaînes info ?"

Eric Rochant : "Qu’a-t-on vu des attentats sur les chaînes info ?"
Eric Rochant (Augustin Détienne/Canal+)

Alors qu’il supervise l’écriture de la suite du "Bureau des légendes", série d’espionnage sur fond de terrorisme et de guerre au Moyen-Orient, Eric Rochant réagit aux attentats.

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Quand, le 13 novembre au soir, les kamikazes se font exploser près du Stade de France, Eric Rochant met en boîte à la Cité du Cinéma à Saint-Denis, à quelques encablures de là, la deuxième saison du "Bureau des légendes", sa série d’espionnage diffusée sur Canal+. Dans ce thriller ultra-contemporain et réaliste, Mathieu Kassovitz campe un agent de la DGSE spécialiste de la Syrie de Bachar al-Assad et des réseaux troubles du Moyen-Orient. Parallèlement au tournage, Rochant supervise l’écriture de la troisième saison : la terrible actualité des attentats, avec son torrent d’images et d’informations angoissantes charriées par Twitter et les chaînes d’info, va-t-elle influer sur le scénario en cours ?

TéléObs. Quel regard portez-vous sur le traitement médiatique des attentats ?

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Eric Rochant.  Ce qui m’a frappé, c’est que la police est parvenue, cette fois, à protéger les informations compromettantes pour l’enquête et la sécurité des otages. Qu’a-t-on vu, par exemple, sur les chaînes info ? Pas grand-chose... Des prises de vues lointaines, des images floues, beaucoup d’échanges de coups de feu hors champ. Les journalistes ont commenté des images vides, loin du front, derrière un cordon de sécurité. Par rapport aux attentats de "Charlie Hebdo" et de l’Hyper Cacher, la différence est très nette.

Après, il ne faut pas se faire d’illusions : tout ce qui se dit à la télé et sur internet est à double tranchant puisque utilisé en même temps que nous par l’ennemi. Quand on nous dévoile les coulisses d’une opération par le menu détail comme celle du 18 novembre à Saint-Denis, en expliquant que la police a tiré les premiers fils de l’enquête à partir d’un portable retrouvé dans une poubelle près du Bataclan, c’est aussi un débriefing serré livré gratuitement à Daech...

Les réseaux sociaux ont pris une dimension quasi humanitaire: opération portes ouvertes, partage et circulation d’avis de recherche, recensement sur Facebook...

– Oui, cela tient aussi au fait que la cible désignée des attentats – je parle du Bataclan et des terrasses de café à Paris – était la jeunesse française qui, par essence, maîtrise mieux les réseaux sociaux que n’importe quelle génération. Qui a principalement fait circuler ces images ? Qui les a vues ? Les jeunes... J’ai appris l’existence des attentats via Twitter. On était à Saint-Denis sur le plateau de tournage quand les premiers tweets nous sont parvenus. C’est tout à fait logique : le milieu de la télévision et du cinéma est majoritairement peuplé de trentenaires qui connaissaient parfaitement ces bistrots, étaient susceptibles de se rendre au concert du Bataclan ou de connaître ceux qui s’y trouvaient.

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Ces attentats vont-ils bouleverser votre processus d’écriture ?

– Pas exactement, dans la mesure où notre angle ne propose pas tout à fait le même éclairage que l’actualité. "Le Bureau des légendes" permet au téléspectateur de plonger dans les arcanes de la DGSE (Direction générale de la Sécurité extérieure), un service dont l’activité se déroule à l’extérieur des frontières. Son rôle consiste plutôt à prendre des renseignements en amont d’un conflit ou d’une agression de type attentat : relever des communications, identifier des réseaux et des individus susceptibles de nuire à la sécurité nationale... Le problème se serait davantage posé si l’on s’était focalisé sur la DGSI (Direction générale de la Sécurité intérieure), une cellule certainement très active en ce moment.

La réalité a-t-elle rattrapé la fiction ?

– Oui, et je vous donne un exemple. Sur la première saison, on avait imaginé des négociations entre le régime de Bachar al-Assad et l’opposition syrienne, bien avant que cela n’arrive en réalité – sans plus de résultats d’ailleurs. La Syrie, Daech, c’est un décor, un cadre : on ne s’amuse pas à intégrer dans la fiction des faits historiques précis. Il n’est donc pas question de fondre les attentats du 13 novembre dans la troisième saison. On ne l’a jamais fait auparavant, on ne le fera pas maintenant.

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La série s’appuie tout de même sur l’actualité du moment.

– Le but du "Bureau des légendes" n’est pas de chercher l’exclusivité ni de jouer les prophètes de l’actualité, mais d’aspirer à être le plus crédible possible. D’ailleurs, l’environnement et les personnages des attentats de vendredi m’évoquent plus ceux de la saison 2, que nous tournons actuellement, que ceux de la saison 3. On a, par exemple, imaginé un djihadiste dans la lignée du profil d’Abdelhamid Abaaoud : passeport européen, très intelligent, hypermédiatique, monté haut dans la hiérarchie de l’Etat islamique, à mille lieues des clichés des terroristes recrutés en France qui ne servent que de chair à canon.

S’il y a bien une certitude à dégager des attentats du 13 novembre c’est que Daech est un ennemi extrêmement structuré, nettement plus que ne l’était al-Qaida auparavant. Et que les guerres d’aujourd’hui ne préparent jamais celles du futur : on est aussi dépourvu et surpris que nous l’étions durant la Seconde Guerre mondiale : on s’attendait à un conflit plus classique, on a eu tout l’inverse.

Le mot d’ordre de la série est le réalisme...

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– Oui, on lit beaucoup et on reste très attentif à ce qui se passe. Mais, plutôt que de s’intéresser aux enquêtes ou aux interventions policières qui sont limite hors sujet pour nous, j’ai surtout demandé à mon équipe de suivre l’évolution de notre politique géostratégique. François Hollande se rapproche de la Russie pour lutter contre Daech, c’est un fait plutôt nouveau. Reste à savoir si cette association va bouleverser l’équilibre traditionnel des alliances dans la guerre au Moyen-Orient.

En tout cas, on est très loin d’en être arrivé là et j’ai du mal à imaginer que, sur un plan politique, ces plaques tectoniques bougent tant que cela : la France était déjà en guerre contre Daech de même que la Russie et l’Iran. Que le lien se resserre entre ces nations du fait des attentats n’est franchement pas une surprise, encore moins une révolution.

Propos recueillis par Guillaume Loison

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