Aymeric Caron : Clash de fin

Aymeric Caron : Clash de fin
Aymeric Caron (© Philippe Quaisse pour TéléObs)

Après trois saisons, Aymeric Caron quitte  "On n’est pas couché" fin juin. Pas une semaine ou presque sans prises de bec. Celui qui se dit "fatigué" par les attaques explique pourquoi il tourne la page et répond à ses détracteurs. Entretien.

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TéléObs. – Pendant trois ans, vous avez renvoyé l’image d’un "emmerdeur". Vous vous en êtes aussi pris plein la figure...

Aymeric Caron. – Oui, il y a eu des moments difficiles, des réactions d’une violence injustifiée, inexplicable, et même des menaces. Ce que je retiens de ces trois ans, ce ne sont pourtant pas les attaques mais plutôt les retours extrêmement chaleureux des téléspectateurs, le bonheur d’entendre les gens me dire : "Qu’est-ce que ça fait du bien de voir un journaliste qui ose poser des questions ! Je ne partage pas vos idées, mais je suis content de vous entendre..."

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Quel genre de menaces avez-vous reçues ?

- Des menaces via les réseaux sociaux mais aussi directes, dont des personnes de mon entourage, en particulier mes parents, ont été la cible à leur domicile. C’est dur pour ceux qui vivent à mes côtés, il y a une pression énorme. Quand on est menacé puis protégé par la police, (après un vif échange avec Bernard Henri-Lévy sur l'actualité internationale : le conflit israélo-palestinien ou la Bosnie, NDLR) cela pose des questions sur la capacité à débattre dans notre pays et sur les crispations très fortes de notre société. Je dois avouer qu’arrêter "ONPC" est de ce point de vue un soulagement. Je finis ces trois années très fatigué. Je suis heureux de quitter le costume de chroniqueur rigide, même si j’ai eu beaucoup de plaisir sur cette émission.

Polémiques, attaques personnelles... on ne peut pas fermer le robinet en rentrant chez soi, on est tout le temps dans le bain.

Mais France 2 m’a beaucoup soutenu et aidé, en particulier Nathalie André (directrice du pôle divertissements et jeux) et Thierry Thuillier (directeur de l’antenne et des programmes), au moment des menaces. Il n’empêche que lorsqu’on est chroniqueur, on n’a pas une rédaction derrière soi, on affronte la polémique tout seul.

Quel souvenir garderez-vous de l’émission ?

- Un souvenir extrêmement affectueux. C’est la seule où l’on peut arriver sur le plateau sans savoir comment les choses vont tourner. Elle laisse une large place à l’improvisation, à la liberté de ton. "ONPC" est produite de manière familiale, avec de la sincérité. Laurent Ruquier y est pour beaucoup. Je le remercie de la chance qu’il m’a donnée, du risque qu’il a pris en faisant le choix d’un inconnu, un choix qu’il a assumé quand certains lui disaient que ce n’était pas le bon. C’est une personne précieuse à la télévision. Il fait confiance à son instinct, c’est très rare dans un milieu où tout le monde calcule.

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Certains vous reprochent d’avoir un ego démesuré.

Ceux qui font de la télé ont un ego plus gros que les autres. Je suis certainement un peu nombriliste.

Mais c’est l’argument facile que les invités vous renvoient à la figure lorsqu’ils n’ont plus rien à répondre.

En trois ans, vous vous êtes fait pas mal d’ennemis ?

- J’ai subi beaucoup d’attaques. J’ai souvent préféré ne pas répondre. Quand Eric Naulleau s’en est pris à moi sur le mode de l’injure dès qu’on lui tendait le micro (il a notamment comparé le QI d’Aymeric Caron à celui de Nabilla et a parlé d’imposture à son sujet, NDLR), je suis resté silencieux pour ne pas alimenter la machine à buzz, cette plaie du système médiatique. Je me suis décidé à faire une exception au bout de deux ans car j’ai estimé qu’il y avait une limite à l’insulte. J’ai dit le fond de ma pensée sur cet individu au micro de Philippe Vandel, sur France Info.

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Je refuse de devenir un Naulleau qui, pour survivre, essaie de revenir à la surface en alimentant les sites internet de sorties minables, une manière de procéder que j’assimile à celle d’un parasite.

C’est le syndrome du post-"ONPC", pas toujours facile à vivre, j’imagine, quand on a été très exposé et qu’on doit passer à autre chose. L’ex-avocat général Philippe Bilger et la polémiste Elisabeth Lévy ne ratent pas non plus une occasion de me brocarder, mais là on est plus dans la critique des idées que dans celle de la personnalité.

En avril, le Gorafi, le site d’info parodique du “ Grand Journal ”, vous a représenté comme une machine à produire de la merde.

- C’est une séquence ignoble ! La satire et l’humour à mon égard ne me dérangent pas tant que cela met le doigt sur un trait de personnalité, un ton, une manière d’être. Ardisson m’a imité récemment, il se foutait clairement de ma gueule, mais ça m’a fait rire.

Pour le Gorafi, il s’agissait d’une attaque personnelle au premier degré, pas drôle, trois-quatre minutes d’injures en continu.

J’y ai vu la volonté de quelques-uns de m’attaquer et cela sous les rires de l’équipe du "Grand Journal" et avec la complicité étonnante d’Antoine de Caunes.

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N’avez-vous pas l’impression vous-même de céder parfois à des attaques personnelles ?

- Est-ce que c’est une attaque personnelle de demander à Cahuzac s’il a un compte en Suisse ? Absolument pas ! C’est une question sur une personnalité publique et sur sa moralité. Sur la cohérence entre sa position publique et sa position personnelle. Ce n’est rien d’autre qu’un questionnement journalistique.

Quand on se sent pris en défaut, l’échappatoire consiste à inverser les rôles : le méchant n’est pas celui qui a fauté mais celui qui met le doigt sur la faute. C’est une perversion totale du débat.

Quand Kouchner s’énerve lorsque j’évoque le rapport qu’il a réalisé pour Total (une enquête sur le volet médico-social du groupe pétrolier en Birmanie, NDLR) et dit que ce que je fais est "dégueulasse", c’est sa réponse qui devrait être condamnée, pas ma question ! De la même manière que la télé vous impose un costume alors que dans la vie vous portez des chemises écossaises de bûcheron canadien, elle vous fait endosser le rôle du rentre-dedans caustique qui pose les questions qui fâchent, et les téléspectateurs croient à cette caricature. Je l’assume, mais n’est qu’une partie de moi-même. J’adore la déconne, la musique avec mes potes et le sport.

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Vous vous étiez violemment accroché avec Eric Zemmour au sujet de son livre "le Suicide français". Comment ça se passe dans les coulisses, après ?

- C’était très intéressant de pouvoir me confronter à lui. Juste après l’émission, nous avons eu un échange très courtois, nous nous sommes quittés en reconnaissant nos désaccords fondamentaux mais sans nous fâcher. Il m’a dit que le débat l’avait épuisé. Je ne l’ai jamais revu.

Que pensez-vous avoir apporté à l’émission ?

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- Je n’ai pas cherché à convaincre les autres de penser comme moi, mais j’ai essayé de casser certains codes établis de l’interview politique. Il a fallu du temps pour que les gens comprennent. Cela s’est surtout ressenti cette dernière année. Peut-être parce que moi-même j’ai un peu changé, je me suis assoupli, j’ai réfléchi aux erreurs que j’ai pu commettre, et les téléspectateurs l’ont compris.

Sur le fond, je ne regrette pas un mot de ce que j’ai pu dire sur le plateau pendant trois ans.

En revanche, j’aurais pu parfois dire les choses avec plus de douceur et de rondeur. Je pense surtout aux artistes en disant cela : je n’ai finalement jamais été très à l’aise avec l’idée de critiquer fortement un livre ou un disque sur lequel un invité a travaillé un ou deux ans. Pendant la troisième saison, j’ai essayé d’être moins abrupt dans ma manière de donner mon avis. Contrairement à la réputation qu’on m’a faite, je ne cherche pas le clash à tout prix. Je tente de faire émerger une part de vérité et, surtout, de ne pas me contenter des habituels éléments de communication.

En parlant de clash, l’essayiste Caroline Fourest vous a récemment traité de “ con ” sur le plateau.

- Mon expérience me dit que dès lors qu’une personne vous insulte, c’est qu’on a touché quelque chose, qu’on est dans la bonne zone d’interrogation et qu’il faut creuser encore. Dans le cas de Caroline Fourest, son mensonge est d’autant plus significatif qu’il est venu en réponse à une séquence où je démontrais sa manière très particulière de tordre les faits. Après avoir menti sur le plateau, au sujet de sa condamnation pour diffamation d’une jeune musulmane voilée, elle a de nouveau menti dans un droit de réponse sur son blog ! Mais le plus étonnant dans cette histoire, c’est le manque de réaction des médias qui l’ont invitée après l’émission sans l’interroger un seul instant sur ce mensonge qui la décrédibilise.

Pourquoi certains journalistes ont-ils choisi d’ignorer ce mensonge ? La réponse est sans doute à trouver dans des réseaux d’amitié journalistique et de copinage politique.

Laurent Ruquier a su réagir fermement en annonçant ne plus vouloir l’inviter. Sa décision est courageuse et importante : elle marque un souci d’exigence et de respect à l’égard des téléspectateurs. Si tous les journalistes et animateurs étaient aussi attentifs au respect de la vérité et de la bonne foi, la qualité des débats y gagnerait.

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Vous avez été considéré par certains comme un procureur de gauche, angélique laxiste...

- Procureur, angélique et laxiste ? Tout cela me semble bien contradictoire... L’angélisme et le laxisme sont deux poncifs qui sont balancés au visage des progressistes et des humanistes depuis des années pour essayer de les faire passer pour des imbéciles. Si, par exemple, vous prônez une justice individualisée, à visage humain, et que vous ne souhaitez pas envoyer tout le monde en prison pour la moindre broutille, alors vous seriez un laxiste. Si vous expliquez que non, la France n’est plus un pays d’immigration car cette dernière est aujourd’hui extrêmement réduite, vous seriez angélique !

Avez-vous réellement le sentiment de débattre du fond à la télévision ?

Le temps télévisuel est souvent très court et fonctionne sur le principe de la punch line, presque du slogan. A la télé, il faut être pour ou contre.

C’est terrible, car beaucoup de sujets – laïcité, insécurité, immigration, terrorisme, libertés individuelles... – sont très complexes et exigent de la nuance. Cela me questionne sur ma place à la télévision. Dans “ ONPC ”, il m’est arrivé de ne pas pouvoir aller au bout de ma démonstration, de ne pas pouvoir poser d’autres questions faute de temps.

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Quels sont les rencontres qui vous ont marqué ?

- Ce ne sont pas forcément les "clashs" mais les échanges d’idées et les moments de grande complicité. Il y a eu, par exemple, cette soirée extraordinaire où nous avons reçu Daniel Cohn-Bendit, Eric Zemmour, Michel Denisot, Anne Dorval et Xavier Dolan. L’émission a duré plus de cinq heures car personne n’avait envie de partir. Anne Dorval, je l’admirais avant de la connaître. On a dîné ensemble quelques semaines après l’émission et on est restés en contact. Je garde aussi un beau souvenir de Sandrine Bonnaire, avec qui j’ai adoré discuter. Ma rencontre avec Fabrice Luchini a été un moment très touchant. J’espère que l’on pourra poursuivre notre conversation sur Nietzsche amorcée en plateau. Luchini est un homme beaucoup plus complexe que ce que le système médiatique veut retenir de lui.

A qui auriez-vous aimé vous confronter ?

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- A Marine Le Pen, Florian Philippot ou Marion Maréchal-Le Pen pour discuter avec eux des mensonges que colporte le FN depuis des années. J’aurais aussi beaucoup aimé interviewer Edgar Morin, Michel Serres ou Laurent Mucchielli (chercheur, spécialiste des questions d’insécurité, NDLR).

On entend beaucoup de gens s’exprimer sur de nombreux sujets sans avoir de légitimité particulière juste parce qu’ils sont de "bons clients".

C’est la limite de la télévision. Qui occupe les médias aujourd’hui ?

Léa Salamé, Natacha Polony : quel verdict sur les binômes que vous avez constitués avec elles ?

- Avec Léa Salamé, cela a été une très belle année ! Nous avons des personnalités et des opinions politiques différentes. Léa revendique une certaine neutralité mais dévoile ses positions libérales au fil de ses interviews politiques, comme avec Thomas Piketty ou Christiane Taubira. Nous avons exprimé nos différences dans la bonne humeur. Avec Natacha Polony, plus engagée politiquement, nos divergences ont fini par créer des dissensions personnelles. Je trouve dommage que notre collaboration se soit terminée sur cette note-là.

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Yann Moix va prendre votre place. Que pensez-vous de ce choix ?

- Avec Léa Salamé, ils vont former un duo très intéressant, car l’un et l’autre ont une forte personnalité.

Après trois ans de végétarien de gauche, les téléspectateurs vont être contents de passer à autre chose !

Yann Moix est un homme plein de surprise, assez inclassable. Il ose, n’a pas la langue dans sa poche, sait être très cash. Il peut avoir des positions de gauche sur certains sujets et de droite sur d’autres, ça va être un vrai renouvellement pour l’émission.

Lui vous a traité de "spécialiste de l’agroalimentaire" (dans "Salut les Terriens", NDLR)...

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- J’avais critiqué son dernier livre sur le plateau et il avait répondu plus tard avec ironie sur le fait que je n’étais pas un spécialiste de littérature. J’ai pris la critique avec le sourire et je tiens à le rassurer : je ne me prétends pas expert en littérature, même si je l’ai pourtant étudiée pendant cinq ans. Quant à l’agroalimentaire (allusion au livre de Caron sur le végétarisme, “ No Steak ”, sorti en 2013, NDLR), pour le coup, je ne suis vraiment pas spécialiste !

Vous avez travaillé sur iTélé. Pourriez-vous retourner sur une chaîne info ?

- Non. Ce que font en ce moment BFM et iTélé, c’est absolument terrible ! J’avais quitté iTélé parce que la chaîne avait perdu tout recul, il fallait aller toujours plus vite avec toujours moins de moyens, en laissant de côté l’analyse.

Les chaînes d’info jouent un rôle néfaste dans la compréhension de l’information. En privilégiant la course à l’audience et au spectaculaire, elles tirent irrémédiablement vers le populisme.

Elles proposent une vision étriquée de l’actualité et des éclairages très partiels. Trois pauvres images de crash aérien commentées pendant deux jours par des experts qui n’ont pas grand-chose à dire. Il y aurait pourtant la place pour une chaîne d’info novatrice qui s’inspirerait du journalisme de la BBC, le modèle qui me séduit, mais n’est pas près d’exister. Je ne me vois pas non plus devenir un commentateur multicarte de l’actualité sur tous les plateaux avec un avis sur le foot, la loi Macron ou l’Iran...

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Qui trouve grâce à vos yeux à la télévision ?

- Pujadas, didactique, curieux et assez décontracté. Franz-Olivier Giesbert. J’aime ce journalisme anar, libre et indépendant. Elise Lucet, avec "Cash Investigation", fait de l’information rentre-dedans et citoyenne. Maïtena Biraben, qui se positionnait plutôt comme animatrice, a réussi à faire du "Supplément" sur Canal un rendez-vous intelligent, original et exigeant. Enfin, Ardisson. J’ai grandi avec ses émissions. Il arrive à mettre le doigt là où ça fait mal avec décontraction et humour. Et sur le Net, bien sûr, les émissions de Mediapart.

"Le Petit Journal" fait un décryptage de l’info qui doit vous plaire ?

- C’est une référence, une émission rigoureuse qui épingle à juste titre les politiques. J’ai toutefois été très surpris que Yann Barthès, lorsqu’il a reçu Caroline Fourest, ne lui pose pas la moindre question sur le mensonge qu’elle venait de proférer sur le plateau d’"ONPC". Cela prouve que l’émission peut avoir des indignations sélectives.

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Et "le Grand Journal" ?

- C’est une grosse déception. J’y étais chroniqueur en 2004 avec Michel Denisot, avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler. L’émission se perd car elle ne sait plus où chercher : imposer un point de vue ou ratisser les idées en vogue. Canal a toujours été la chaîne de l’antiracisme, de l’empathie, même si on a pu parfois lui reprocher un côté bobo.

Il me semble que "le Grand Journal" n’incarne plus ces valeurs aujourd’hui et faillit à sa mission qui consiste à faire émerger des humoristes de talent.

Je pense que le souci principal de Canal+ aujourd’hui, c’est "le Grand Journal".

Depuis que votre départ d’"ONPC" est officiel, avez-vous eu des propositions ?

- Oui, mais je ne cherche pas à faire de la télé ou de la radio à tout prix. Je n’ai pas envie non plus de faire une interview quotidienne de dix minutes à la radio, je l’ai déjà fait, on ne peut pas aller au fond des choses. En fait, je suis très difficile ! Je me suis engagé auprès de plusieurs éditeurs, donc la prochaine année sera centrée autour de l’écriture. Et puis, avec quelques personnalités qui figurent parmi celles avec lesquelles j’ai cosigné une tribune dans "le Monde" ("Le repas végétarien, le plus laïc de tous", par Sandrine Bélier, Allain Bougrain- Dubourg, Florence Burgat, Franz-Olivier Giesbert, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Matthieu Ricard, "le Monde" du 26 mars 2015, NDLR), nous sommes en train de créer quelque chose autour de ce qui nous rapproche : le respect de l’environnement et celui des espèces animales et végétales. Au-delà de ça, nous nous mobilisons pour des valeurs humanistes qui englobent non seulement les animaux et les plantes mais aussi évidemment l’homme, et nous interrogeons sa place dans cet équilibre. Ce projet ne sera lié à aucun parti politique existant car l’écologie politique, en France, est à mon avis en état de mort clinique.

Propos recueillis par Anne Sogno

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"On n'est pas couché", talk-show animé par Laurent Ruquier avec Léa Salamé et Aymeric Caron. Les samedis vers 23H15 sur France 2.

 

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