Thomas Sotto : "Je n’ai jamais rencontré Arnaud Lagardère et je m’en réjouis"

Thomas Sotto : "Je n’ai jamais rencontré Arnaud Lagardère et je m’en réjouis"
Thomas Sotto (Grand Oral) (© Bruno Coutier pour TéléObs)

De l’arrivée de Raphaël Enthoven aux rumeurs de rachat d'Europe 1 par Vincent Bolloré : un mois après la rentrée, le matinalier de la rue François Ier fait le point.

· Publié le · Mis à jour le
Temps de lecture

TéléObs. – Votre matinale ressemble-t-elle à celle que vous aviez imaginée lors de votre arrivée à Europe 1 ?

Thomas Sotto. – Nous avons pensé cette matinale à trois, avec Fabien Namias et Nicolas Escoulan [respectivement directeur général et directeur de la rédaction, NDLR], dès le mois d’avril 2013. Bien avant l’officialisation de mon transfert. Nous sommes partis d’une feuille blanche. J’ai un profil très news. A mes yeux, cette matinale était trop infotainment (mélange d’info et de divertissement) et pas assez hard news. Sans doute correspondait-elle à l’humeur du moment. Une matinale est faite de réajustements permanents. Comme une relation de couple avec l’auditeur : s’il n’y a pas une petite surprise de temps à autre, on finit toujours par s’emmerder. Il faut composer avec l’air du temps. L’an dernier, à 7h15, nous avons lancé "la Question qui fâche", rubrique qui collait à l’humeur du pays. Puis il y a eu les attentats de janvier. Un basculement. Il fallait plus d’explications, plus de réflexions, moins de polémiques. Cette rubrique a été supprimée.

La suite après la publicité

... et une autre a fait son apparition à la rentrée, à 7h26 : "la Morale de l’info", de Raphaël Enthoven.

Nous vivons dans un monde hystérique. L’information va toujours plus vite. Ces trois minutes, indispensables, permettent de se poser un peu. Nous sommes journalistes, Raphaël Enthoven est philosophe. Notre regard sur l’actualité est forcément différent. Il apporte du recul, un point de vue. J’aime ça : les points de vue et les désaccords. J’aime les billets de Dany Cohn-Bendit et la revue de presse de Natacha Polony. On peut râler sur eux, je m’en fous. Ils ont des avis et, pour moi, c’est l’essentiel. Autant j’exige de mes présentateurs que l’information soit neutre, autant éditos, billets et chroniques doivent faire vivre le dé- bat. Je dis bien le débat, pas le buzz. Je déteste le buzz. Je déteste aussi l’hystérie du tweet. La vie politique se résume souvent à 140 signes. Hier, c’était la petite phrase, aujourd’hui, c’est le tweet. Nous sommes dans une époque qui, trop souvent, crie fort et ne dit rien.

Les politiques sont trop "média-trainés". Pour les avoir, vous devez franchir 57 filtres : gourous, communicants...

Qui donc crie si fort pour ne rien dire ?

La classe politique ! Trop souvent, elle vient en studio "faire la dépêche" ou "la petite phrase". Cela dit, nous sommes un peu schizos. Quand ils sont dans l’actu, nous nous battons pour avoir les politiques. Et, en même temps, on a envie de leur dire : "Arrêtez de vous répandre, raréfiez votre parole et venez quand vous avez quelque chose à dire !" Mais chacun son job. A eux de savoir ce qu’ils ont envie de faire. Hélas, comme beaucoup de penseurs, décideurs ou acteurs, ils sont trop "média-trainés". Pour les avoir, vous devez franchir 57 filtres : gourous, communicants... Qu’ils se fassent conseiller : pourquoi pas ? Mais c’est parfois du délire.

La suite après la publicité

Vous avez fait l’essentiel de votre carrière à la télé. N’avez-vous pas envie d’y revenir ?

Plusieurs chaînes m’ont approché, des chaînes info notamment. On m’a proposé des émissions, la tête d’une importante boîte de production. Ce serait facile de dire : tiens, chaque vendredi, je vais aller mettre en boîte une petite émission. Ça rapporte, ma mère me verrait dans "Télé 7 Jours». Mais je ne sais pas faire deux choses à la fois. Par ailleurs, je n’en éprouve pas le besoin. La matinale d’Europe 1 m’occupe déjà beaucoup : de 2h30 à 10h30 le matin et de 16 heures à 20h30 l’après-midi. Il faut savoir se débrancher, dire stop. Quand on est constamment dans la lessiveuse de l’actu, on ne voit plus rien. Enfin, il ne faut pas se laisser griser, il faut garder les pieds sur terre. Nous sommes des passeurs, pas des stars.

Dans deux ans, on voudra peut-être s’amuser davantage et – qui sait ? – Cyril Hanouna présentera la matinale

"L’opinion publique s’est radicalisée, elle veut désormais plus d’agressivité", expliquait Denis Olivennes, président d’Europe 1, quand vous avez débarqué rue François-Ier en remplacement de Bruce Toussaint. Avez-vous eu le sentiment d’être agressif ?

Je ne suis pas d’accord avec Denis Olivennes sur l’agressivité. Je ne suis pas du genre à mordre aux mollets. Sur la radicalisation de la société, oui. Aujourd’hui, un « gros » événement, c’est un attentat. Le reste, et c’est un constat terrible, devient fade. L’heure est sans doute moins à la rigolade. C’est une question d’époque. Dans deux ans, on voudra peut-être s’amuser davantage et – qui sait ? – Cyril Hanouna présentera la matinale ! Quoi qu’il en soit, j’ai la chance d’être dans une maison où l’on a le droit d’être en désaccord avec son président. Ça devient rare. On ne m’a jamais interdit un sujet. Je n’ai jamais subi la moindre pression. Je n’ai même jamais rencontré Arnaud Lagardère et je m’en réjouis. Le Qatar est actionnaire de Lagardère et personne ne m’a empêché d’aborder les rapports entre le terrorisme et l’émirat du Qatar. Quand des affaires sur des annonceurs éclatent, on en parle. Personne ne m’a jamais rien dit. Cette liberté est précieuse.

La suite après la publicité

Et si Bolloré venait à racheter Europe 1, seriez-vous inquiet pour votre « précieuse liberté » ?

Je n’ai a priori aucune raison de l’être. Je ne fais d’ailleurs jamais de procès d’intention. Mais nous n’en sommes pas là. Le rachat d’Europe 1 par Bolloré est un grand fantasme. J’entends les bruits ces jours-ci. Je sais aussi que Lagardère a un réel attachement pour la station.

Quand on travaille pour Vincent Bolloré, il n’y a qu’un seul décideur, c’est Vincent Bolloré

Vous avez participé au lancement de Direct 8 en 2005. A ce titre, vous avez vu Bolloré façonner « sa » chaîne.

J’y ai passé huit mois. Je me souviens d’avoir vu Vincent Bolloré débarquer en pleine matinale de Direct 8, pas rasé, un samedi, à 4 heures du matin ! Ça l’amuse, ça lui plaît, ça l’excite. Je ne juge pas ce qu’il fait aujourd’hui à Canal+. Je pense néanmoins qu’il a fondamentalement envie de faire quelque chose de bien. Maintenant, et il faut le savoir : quand on travaille pour Vincent Bolloré, il n’y a qu’un seul décideur, c’est Vincent Bolloré.

La suite après la publicité

Que vous ont appris vos cinq saisons passées sur BFMTV ?

En premier lieu, la réactivité et la vitesse. Ensuite – et cela peut sembler paradoxal – la vigilance. A BFMTV, j’ai appris à dire : "je ne sais pas". Une phrase fondamentale qui nous crédibilise mais que l’on entend de moins en moins dans nos métiers. Lors des attentats de janvier, sur Europe 1, j’avais cette ligne de conduite. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une hystérisation de l’information qui n’est pas seulement liée aux seules chaînes info. Le monde a changé, les supports se sont multipliés, les jeunes s’informent différemment. Nous regardons la télé, nous écoutons la radio, nous lisons des journaux. Mais attendez ! Nous sommes des néandertaliens ! Les jeunes s’informent sur leur tablette et leur téléphone. L’information leur arrive de partout. Ils mettent tout sur le même plan : Europe 1 comme les pseudo-sites d’information complotistes. La propagande est partout.

Comment faire pour que cela change ?

J’ai appris mon métier à Canal J, une chaîne pour enfants. C’est la meilleure école. Je suis donc sensible au sujet. Je vais lancer un "truc", en collaboration avec le site Spicee. C’est une idée à la fois très simple sur le papier et incroyablement difficile à mettre en oeuvre. On envoie des journalistes munis de caméras dans des classes de CM2. Le matin, on tourne un sujet dans la cour de recré. Aussitôt, on fait deux montages. D’abord, la vraie histoire, celle qu’ils ont vécue. Ensuite, une histoire totalement différente, réalisée avec les mêmes images et les mêmes interviews. La vérité et la propagande. Pour finir, on discute avec le journaliste, l’instit et les élèves. Le but est simple : développer le sens critique, éduquer à l’image et à l’info. Nous avons démarché le ministre de l’Education nationale. On commence en octobre. Certes, nous ne pourrons pas aller dans tous les CM2 de France. Mais si on peut initier le mouvement...

La suite après la publicité

Propos recueillis par Alexandre Le Drollec

REPÈRES
1973. Naissance à Paris.
1999. Présente le JT sur Canal J.
2005. Intègre BFMTV.
2011. Présente "Capital" sur M6.
2013. Aux commandes de la matinale d'Europe 1.

 
Sur le même sujet
A lire ensuite
En kiosque